L’institut Civitas va-t-il être dissous ?

Les agressions des militantes Femen et de la journaliste Caroline Fourest lors de la manifestation contre le mariage gay qui se déroulait le 18 novembre à Paris à l’appel de l’institut Civitas ne sont pas restées lettre morte. Le lendemain, six députés (Patrick Mennucci, Yann Galut, Jérôme Guedj, Sébastien Denaja, Nicolas Bays et Anne-Yvonne Le Dain) ont envoyé un courrier au ministre de l’Intérieur Manuel Valls pour réclamer la dissolution de l’institut. Pour Anne-Yvonne Le Dain, députée de l’Hérault, les organisateurs de la manifestation “sont responsables car personne n’a bronché quand elles [les Femen et Caroline Fourest] se sont fait cogner. Ils n’ont pas fait ce qu’il fallait“. Les images, qu’elle a découvertes à la télévision le jour même, l’ont “profondément choquées” :

“Un homme ne frappe pas une femme ! C’est un réflexe primale. Ils auraient frappé des hommes j’aurais aussi réagi. Mais là c’est encore plus choquant car ce sont des femmes”.

Elle ajoute, très en colère :

“Des femmes en petite tenue viennent leur casser les pieds, ce n’est quand même pas très dur à repousser ! On n’a pas besoin de les taper !”

Cette demande de dissolution n’est pas un cas isolé. Eddie Aït, secrétaire nationale du PRG (Parti Radical de Gauche) a également réclamé la dissolution de Civitas, en précisant que l’agression survenue le 18 novembre “l’inquiétait au plus haut point”. Le Mouvement des jeunes socialistes s’est lui attaqué au GUD (Groupe Union Défense), organisation étudiante d’extrême-droite réputée pour sa violence, qui a fait son come-back à l’université d’Assas, son bastion historique, en 2011 sous le nom Union de Défense de la Jeunesse. Les jeunes socialistes demandent la dissolution du groupe, à qui beaucoup attribuent les agressions du 18 novembre. Dans leur communiqué, ils déclarent :

“Nous demandons au Gouvernement d’acter la dangerosité maintes fois démontrée de ce groupe dont l’idéologie et les actions mettent à mal la République Française”.

Il y a un mois, c’était Génération Identitaire, branche de l’extrémiste Bloc Identitaire, qui était dans le viseur. Suite à leur occupation du chantier de la mosquée de Poitiers, Harlem Désir, secrétaire général du PS, Jean-Luc Mélenchon, co-président du Parti de Gauche, et le PCF avaient demandé la dissolution du groupe d’extrême-droite. Quelques jours plus tard, on apprenait que le gouvernement s’y refusait pour des raisons juridiques, c’est-à-dire faute de preuves tangibles d’une atteinte à la sécurité de l’Etat.

Quid de Civitas ?

Depuis la loi du 10 janvier 1936, le chef de l’Etat a le pouvoir de dissoudre par simple décret certains groupes jugés dangereux présents sur le territoire français. Civitas, comme Génération Identitaire, pourrait tomber sous le coup de l’alinéa 6 de la loi, qui dispose que seront dissous les groupes “qui provoqueraient à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propageraient des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence”.

Si Génération Identitaire n’a pas été dissous, peut-on tout de même s’attendre à ce que Civitas le soit ? Alain Garay, avocat spécialiste du droit des associations, n’y croit pas, car “il faudrait prouver que l’incitation à la violence est marquée dans les statuts de l’association ou que l’association est porteuse d’un sérieux trouble à l’ordre public“. Or il n’est pas prouvé que l’institut est à l’origine des agressions, qui auraient plutôt été perpétrées par des membres du GUD et du Bloc Identitaire. Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême-droite; précise :

“La manifestation qui a eu lieu dimanche, était autorisée. Peut-on dissoudre un mouvement au prétexte qu’il y a eu des incidents dans sa manifestation ? A mon sens non. Ou vous manifestez sur la voie publique sans autorisation et vous êtes en infraction, ou vous avez déposé une demande et vous êtes autorisés à manifester. Ce qui se passe à l’intérieur de la manifestation est à ce moment là susceptible d’autres types de poursuites.”

Et si la dissolution était inutile ?

ça ne serait en tous cas pas la première qu’un groupe serait dissous en France. L’Etat a eu plusieurs fois recourt à ce procédé. Jean-Yves Camus cite entre autres “un groupe néo-nazi au début des années 80 qui était soupçonné d’avoir perpétré l’attentat rue Copernic”, Ordre Nouveau en 1973 à la suite de violences commises au soir d’un meeting sur des contre manifestants et les forces de police, le groupe alsacien néo-nazi El Sass Korps en 2005. Stéphane François ajoute la Tribue Ka, groupuscule extrémiste noir “qui faisait des ratonnades anti-juives, notamment dans le marais” et qui a été dissous en 2006.

Malgré tout, la dissolution pourrait n’être qu’un écran de fumée, un pansement qui à peine appliqué se décolle déjà. C’est en tous cas ce qu’avance Stéphane François, docteur en sciences politiques, spécialiste des droites radicales, qui assure qu’elle est uniquement symbolique. “C’est une habitude chez ces groupes de se recréer. Unité radicale [dissout en 2002, ndlr] est devenu Bloc Identitaire” ajoute-t-il, avant de prendre l’exemple de Génération identitaire :

“Si on ne dissout pas toute la nébuleuse identitaire, Si on ne touche pas à Projet Apache, Jeune Bretagne et toutes les composantes du Bloc Identitaire, ça ne sert à rien de la dissoudre”.

Un argument qu’avance également Jean-Yves Camus :

“La question de la dissolution ne résout rien, on a eu des quantités industrielles de dissolution qui se sont soldées par la création d’un autre groupe portant un autre nom. On sait que les dissolutions ne sont pas efficaces. Elles débouchent sur un éternel recommencement”.

La non-dissolution des groupes comme Génération Identitaire pourrait aussi être un moyen d’éviter la radicalisation de ces mouvements, qui en est un des effets possibles comme l’assure Jean-Yves Camus. “Plus on dissous un noyau dur d’activistes, plus on les fait passer à un stade supérieur de radicalité” explique-t-il. En ce qui concerne Civitas, même s’il n’y a selon lui aucune potentialité de dérive de l’institut vers le terrorisme, certains manifestants pourraient se tourner vers des groupes plus radicaux si l’organisation était dissoute.

Ces groupes ne sont donc pas prêts de disparaître. “On oublie que de toutes manières, cette mouvance extrémiste aura toujours une activité. On ne peut jamais totalement l’interdire” rappelle Jean-Yves Camus. Il prend pour contre-exemple l’Allemagne, qui dissous à tour de bras les groupes extrémistes présents sur son territoire. “Cela a à voir avec l’histoire du pays, et cela nécessite un autre arsenal législatif que le nôtre“, précise le politologue, “en France, on considère que c’est somme toute un problème secondaire, périphérique. On se concentre sur le FN, qui constitue un problème électoral majeur”. 

“Frapper au tiroir-caisse” 

La seule arme véritable contre ces groupes serait donc la condamnation en justice des militants impliqués dans des actes de violence. “C’est très dissuasif pour des militants qui sont généralement jeunes” assure Jean-Yves Camus. Il mentionne également les amendes sur les publications qui appartiennent aux groupes concernés, souvent loin d’être à l’équilibre financier. ”Frapper au tiroir caisse a un résultat assuré” assène-t-il.

Pour Stéphane François, les amendes sont une bonne méthode, plus efficace que la dissolution :

“C’est une stratégie qui était utilisée de la Restauration au Second Empire quand l’Etat luttait contre les Républicains en donnant des amendes à leurs journaux. A partir du moment où on touche au porte-feuille, la personne est plus prudente dans ces actes”.

C’est justement ce à quoi songe Annick Le Petit, députée de Paris, quand elle propose de supprimer les dégrèvements fiscaux aux associations sexistes, racistes et homophobes. La défiscalisation des dons aux associations serait, entre autres, visée. Un procédé qui pourrait mettre un frein aux activités de Civitas, qui incitait encore la semaine dernière ses sympathisants à lui fournir des dons en mettant en avant leur caractère fiscalement déductible. Pour ce faire, une décision de justice devrait intervenir à l’encontre de l’institut. D’ici là, Civitas, tout comme le GUD et le Bloc Identitaire, semblent avoir de beaux jours devant eux.

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Via: lesinrocks.com


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