Alors que «Je suis Femen», le documentaire du Suisse Alain Margot, est toujours sur les écrans romands, nous avons rencontré Oksana, une de ses protagonistes.
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Féminisme
Ukraine
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Difficile d’approcher les Femen ? Au contraire. Elles ouvrent volontiers leur porte pour montrer qui elles sont et jouent la transparence. Elles l’ont fait pour nous comme pour Alain Margot. Réalisateur suisse, il a suivi les fondatrices du mouvement pour dévoiler les coulisses de ce «sextrémisme». A l’occasion de la projection du documentaire, Oksana, l’une des fondatrices et héroïne du film, est venue en Suisse pour présenter le projet et rencontrer le public helvétique, lui parler et raconter son histoire. Au-delà des hystériques hurlantes pour qui on les fait passer parfois, il y a les déboires, les problèmes et les menaces qui planent à chaque instant. Ce petit groupe d’activistes né un Ukraine en 2008 a connu une renommée mondiale très rapidement. Hurler seins nus pour protester contre les politiciens et pour dénoncer la condition des femmes fait toujours son effet.
Trois à leur début, le mouvement compte aujourd’hui plus de 2000 membres dans tous les pays. Aujourd’hui basée à Paris, Oksana et ses camarades de la première heure vivent en sécurité, loin de l’Ukraine qu’il leur est désormais interdit d’approcher. Nous l’avons retrouvée à Sainte-Croix, petit village près d’Yverdon. Entre deux bouffées de cigarettes et quelques gorgées de bières, Oksana nous livre ses impressions et sa détermination pour continuer les efforts engagés.
– Pourquoi avoir accepté de tourner ce documentaire?
Oksana:– Alain Margot nous a approchées il y a trois ans, pour réaliser ce film sur le mouvement Femen en Ukraine. Il nous a côtoyées longtemps, c’est devenu un ami proche. Il voulait montrer ce qu’il se cachait derrière les manifestations, comprendre notre démarche. Nous avons accepté rapidement et avec plaisir. Nous voulions expliquer nos idées, notre idéologie, transmettre et faire comprendre notre démarche au-delà de ce que montre dans les médias. Pour nous, c’était intéressant de présenter les choses calmement. Nous sommes très transparentes et ouvertes malgré «l’agressivité» de nos actions. Les Femen ne sont pas juste des femmes qui se montrent seins nus en hurlant. Il était important pour nous de montrer pourquoi on le fait, ce qui nous motive et nous pousse à faire cela. Le documentaire raconte les coulisses, que chaque action est sensée et préparée. L’idée est aussi de sensibiliser les gens, les faire adhérer à nos idées: nous sommes des «sextrémistes» mais avec un cerveau. Tout est pensé.
– N’avez-vous pas peur de nuire à la force médiatique des Femen en montrant les coulisses?
– Lorsque nous faisons nos actions seins nus pour telle ou telle raison, les médias nous décrivent parfois comme des folles hystériques. Certaines personnes le pensent aussi. Nous sommes des sextrémistes, alors oui nos manifestations sont «agressives», cela dans le but d’attirer l’attention sur un problème. Si nous avons accepté de montrer ce que nous faisions «au calme», c’était dans le but de montrer que nous étions des femmes réfléchies. Je ne pense pas que le documentaire va nuire à notre force médiatique. Le film va surtout nous aider, j’espère, à toucher plus de personnes dans le monde, leur faire comprendre que derrière le sextrémisme se cachent des revendications pensées, fondées et justes.
– Les Femen sont-elles contre les féministes «classiques»?
– En Ukraine, il n’y a pas vraiment de culture du féminisme. Bien sûr il y a des féministes ukrainiennes, mais les gens pensent que ce sont juste des femmes qui veulent ressembler aux hommes et les haïssent en même temps. Surtout, elles ne font pas beaucoup bouger les choses, car en Ukraine il n’y a pas assez de liberté d’expression, voire pas du tout. Pour nous les Femen, il était temps de réagir, de se réveiller. A chaque nouvelle génération, certains problèmes que subissent les femmes sont réglés, mais d’autres restent. Les choses changent tout le temps, et il faut s’adapter à chaque époque, se mettre au diapason. Nous ne voulions pas appartenir aux féministes «classiques», car pour nous elles veulent juste ressembler à des hommes, s’habiller comme eux, cacher leur identité réelle. Alors que non! Il faut être fière d’être une femme! Nous ne devons pas nous cacher derrière les règles des hommes. En montrant nos seins, nous affichons notre identité, notre fierté, pour dire que notre corps nous appartient et que ce n’est pas qu’un objet sexuel: nous sommes aussi des humains.
– Après la révolution en Ukraine, espérez-vous un changement?
– Le départ de Viktor Ianoukovitch a été une très bonne nouvelle. Les gens ont commencé à se réveiller, à manifester, à crier leur colère. Cela a conduit à la révolution pour chasser cet homme pro-russe sous l’influence de Vladimir Poutine. Les Femen étaient même blacklistée par les services du président déchu. Aujourd’hui, c’est Piotr Porochenko le nouveau président de l’Ukraine. Sauf que cela ne change rien à notre avis. Il fait partie de cette oligarchie ukrainienne qui gouverne le pays depuis trop longtemps. Ce n’est pas un nouveau politicien, il fonctionne comme les autres membres de la mafia politique du pays. Lui ou un autre ne feront pas la différence: ce sont tous des bâtards et des gangsters! Pour que le pays sorte de sa prison, il faut que le peuple puisse s’exprimer, ne plus avoir peur. Pour cela, il est nécessaire de laisser entrer une nouvelle génération de politiciens. Les Ukrainiens sont trop passifs, cela prendra du temps mais je ne désespère pas. L’idéal à atteindre est maintenant d’instaurer un matriarcat pour remplacer le patriarcat en place. Ainsi, nous pourrons tendre vers l’égalité, car les femmes sont plus intelligentes et plus sensibles. Elles sauront faire les choses justes.
– Y a-t-il du travail pour les Femen en Suisse?
– Rappelons-nous de la «blague» d’Ueli Maurer qui comparait les femmes à de vieux ustensiles de cuisine. Ces propos sont choquants, surtout dans un pays comme la Suisse. Il y a encore du travail pour changer les mentalités. Beaucoup. Mais ce n’est pas la seule lutte à mener en Suisse: une partie de notre activisme vise à arrêter l’industrie du sexe, libérer les femmes. Et cette question n’est pas limitée à la Suisse. Il y a des problèmes partout dans le monde, notamment dans les pays musulmans. Tout ce qu’on peut lire et voir dans les médias au sujet des femmes, c’est qu’elles ne sont libres nulle part. La preuve: des femmes du monde entier nous contactent pour rejoindre le mouvement Femen, elles veulent faire partie du groupe pour lutter contre l’oppression, qu’elle soit passive ou violente. Chaque pays a ses problèmes, et c’est bien mieux si ce sont les femmes du pays-même qui militent, car elles connaissent mieux les difficultés.
– Quel avenir pour le mouvement?
– Les Femen sont encore jeunes. Nous avons commencé il y a six ans seulement. Mais nous grandissons! Lors de la fondation nous étions trois femmes. Nous comptons maintenant 2000 activistes dans le monde, plus encore les soutiens. Aujourd’hui, depuis notre QG à Paris, les fondatrices de Femen aident surtout les nouveaux membres à devenir des Femen, c’est-à-dire à bien réfléchir aux actions, à comment s’organiser, bien réfléchir à la stratégie à adopter. La sécurité que nous avons trouvée à Paris nous permet de devenir en quelque sorte des professeurs pour les autres, car nous avons l’expérience. L’avenir n’est pas écrit, mais il reste beaucoup de choses à faire, il y a du travail pour nous, pour arrêter la corruption politique et pour que les femmes ne soient plus des esclaves.
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