«Jusqu’à présent, somme toute, chacun faisait confiance à ses concepts, comme à une dote miraculeuse venue de quelque monde également miraculeux » (Nietzsche, Posthumes, Œuvres philosophiques XI, p. 215-216)
C’est en constatant un usage équivoque et dangereux du concept socio-anthropologique d’ «acculturation», chez certains responsables musulmans, que nous décidons d’apporter de la clarté à ce concept assez problématique en sciences sociales. En effet, qu’ils soient imâm ou responsable d’une association relative à la question islamique, certains musulmans emploient ce concept en lui donnant le sens d’assimilation, en appelant sur un ton assez normatif, et donc contraire à l’esprit de la sociologie et à l’anthropologie, à une acculturation.
On entend en effet que les «musulmans doivent s’acculturer», «l’islam doit s’acculturer», «nous appelons à une acculturation des musulmans», «théologie de l’acculturation», «acculturer l’islam», etc.
Acculturation, éléments de définition
Selon le dictionnaire de sociologie dirigé par le sociologue Gilles Ferréol, le terme d'acculturation trouve son origine dans la discipline d'anthropologie et désigne «les mécanismes d'apprentissage et de socialisation, l'intégration d'un individu à un environnement qui lui est étranger et, plus fondamentalement, les processus et changements entraînés par des interactions ou des contacts directs ou indirects, prolongés ou discontinus, spontanés ou organisés, libres ou imposés, entre groupes ethniques différents à l'occasion d'invasions, de colonisations ou de migrations, qu'il s'agisse d'échanges ou d'emprunts, d'affrontements ou de rejet, d'assimilation ou d'accommodation, de syncrétisme ou de réinterprétation » (p.5).
Remarquons bien, d’une part, que le phénomène d’acculturation survient lors d’une situation d’arrivée d’une nouvelle culture dans un environnement qui lui est étranger, celui de la culture d’accueil, et d’autre part, remarquons ensuite que le phénomène d'acculturation traduit une pluralité de modalités de changements culturels qui surviennent suite à des interactions entre groupes ethniques ou de cultures différentes, et peut, le cas échéant, déboucher sur une assimilation, mais pas nécessairement, car d’autres configurations relationnelles sont possibles, comme le stipule cette définition.
Acculturation ou assimilation ?
Nous voyons donc d’emblée des objections à cette façon de mobiliser le concept d’acculturation pour étudier le fait islamique en France. D’abord, il est erroné et dangereux de renvoyer les musulmans français exclusivement à une culture étrangère, autre que la culture française. Ensuite, il apparait que l’acculturation n’est ni plus ni moins un ensemble de diverses possibilités de changement ou non de la culture arrivante dans le nouvel environnement.
Et même si nous supposions – à tort ! - que les musulmans avaient une culture autre que celle de la France - et à supposer d’ailleurs que celle-ci soit homogène ! -, les résultats d’interactions interculturelles resteraient très incertains et ouverts en termes de possibilités. Alors pourquoi ce sens tronqué attribué à l’acculturation ? Pourquoi assimiler l’acculturation à l’assimilation ? Pourquoi supposer qu’un «individu acculturé» - expression qui n’a aucun sens en sociologie - aurait forcément subi une soustraction de quelques-unes de ses singularités culturelles ?
Conjectures d’autant plus absurdes que nous voyons les sciences humaines et sociales accorder un réel potentiel de changement social aux minorités dites actives. Nous faisons bien entendu référence à l’ouvrage de Serge Moscovici, Psychologie des minorités actives, dans lequel il stipule empiriquement qu’une minorité peut changer l’ordre majoritaire existant sous certaines conditions comme la «consistance» de son discours, par exemple.
L’acculturation, avant d’être une réponse, est une question
Et même si l’on employait le terme d’acculturation sans lui donner ce sens tronqué souligné plus haut, il n’en demeure pas moins que l’on assiste là à une réelle tautologie. C’est en ces termes que Denys Cuche, dans son ouvrage La notion de culture dans les sciences sociales (2004), nous dit la chose suivante, à la page 52 : «On n’a rien expliqué du tout quand on se contente d’utiliser le mot «acculturation» pour rendre compte des conséquences d’un contact culturel. Faire usage du concept, c’est désigner le phénomène à analyser, ce n’est pas réaliser l’analyse elle-même». En effet, qu’a-t-elle d’extraordinaire l’acculturation si l’on ne problématise pas les issues potentielles, à moins que l’on suppose que certains musulmans n’entretiendraient aucune relation avec les éléments de leur environnement français ? Car c’est bien ce qui est sous-entendu de façon astucieuse. Si cette hypothèse était vraie, alors quels seraient ces musulmans qui vivraient exclus et en marge de la société ? N’est-ce pas absurde de supposer cela. C'est pourquoi, aussi bien pour les sociologues que les anthropologues, «un tel concept pose cependant plus de questions qu'il n'en résout» (Gilles Ferréol).
Mouhib Jaroui critique l'usage limité de la notion d'acculturation développée dans la communauté musulmane de France.
L’acculturation, un concept équivoque
Ainsi, nombreux sont les travaux qui «attirent notre attention sur la complexité des ajustements [culturels] qui s'opèrent, parfois non sans heurts ni blocage, de manière plus ou moins sélective (et selon des variantes «additives» ou «substitutives»), sous forme de transfert ou de réorganisation, de restauration ou d'annihilation, d'acceptation ou d'interpénétration» (Gilles Ferréol, p.6).
Il est de surcroît important de souligner les divergences de compréhension de ce concept dont la généalogie est fort douteuse : «Acculturation : modification d’une culture au contact d’une autre (…) A une époque marquée par le colonialisme et les transformations opérées au sein des sociétés traditionnelles par la modernité, on a surtout employé le terme d’acculturation dans le cas d’une culture dominée qui se trouve mise au contact d’une culture dominante, subit très fortement son influence et perd de sa propre substance originelle» (Le dictionnaire des sciences humaines, sous la direction de Jean-François Dortier, éditions sciences humaines, p.3).
Pourtant, certains de nos compatriotes musulmans appellent dans une double confusion sémantique et intellectuelle, qui nous laisse perplexe, à une acculturation, comme si ces interactions n'existaient pas déjà, accusant sur un ton similaire à celui de l’Anti-France les immigrés et leurs descendants de ne suffisamment pas aimer la France, puisque l’un d’eux nous dit qu’ «il y a une acculturation de fait. Les musulmans sont des Français jusqu'à la moelle, même s'ils le refusent par schizophrénie», comme si l'amour devait être crié sur les toits. D'ailleurs à trop le proclamer, non seulement il risque de perdre de sa valeur, mais pourrait s'apparenter à de la dénégation…
Via: zamanfrance.fr
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