La police ne plaisante pas avec les ressortissants étrangers en Tunisie. Le 12 juin, au moment où trois jeunes Femen européennes étaient condamnées à Tunis à quatre mois de prison ferme, Mohamed Messaoudi, un Franco-Tunisien de 40 ans, comparaissait au tribunal de première instance de la ville après s’être fait tabasser par la police pour une banale altercation. Né en France, ce cadre hospitalier à Paris se rend régulièrement à Tunis, où il milite pour le Front populaire, l’alliance de la gauche tunisienne. Son récit est un nouveau témoignage de la brutalité policière en Tunisie, après l’affaire des Femen puis celle du procès du rappeur Weld El 15, à l’issue duquel une autre Franco-Tunisienne, Hind Meddeb, s’est retrouvée dans le collimateur des autorités.
Mohamed Messaoudi a mis par écrit son histoire dans une lettre adressée au Consulat de France à Tunis, dont Libération reproduit ici des extraits.
Le 11 juin, arrivé en Tunisie avec son passeport français, il se trouvait dans un restaurant-bar de Tunis «connu pour être fréquenté par les gauchos et artistes». Il y rejoint un membre du Front populaire, qui se trouve être le frère du journaliste dissident Taoufik Ben Brik. «Nous étions en train de manger lorsqu’un jeune homme de forte corpulence a commencé à agresser verbalement la serveuse. J’ai interpellé ce jeune homme de vive voix en lui demandant de cesser d’importuner cette demoiselle. Il s’est exécuté en quittant les lieux accompagné par les "videurs" du lieu. Ceci s’est passé vers 23h30. » Deux heures plus tard, ils rejoignent leur voiture avenue Habib Bourguiba. «Dix mètres plus loin, le jeune homme que j’avais recadré "gentiment" m’a frappé avec une chaise. Il m’a donc attendu et porté un coup par surprise. De là je le poursuis, il rentre dans le restaurant Mic-Mac et en ressort avec une importante blessure au front. N’étant pas rentré dans le restaurant je présume que ce jeune adulte s’est porté lui-même le coup.»
La police embarque alors les deux hommes au poste. Le cousin de Mohamed Messaoudi l’accompagne.
«Dans un premier temps, tout s’est bien passé. Puis vers 3 heures du matin, un grand nombre d’inspecteurs se sont présentés dans le bureau, où mon cousin et moi avions fait nos dépositions, pour nous informer qu’ils avaient reçu ordre du procureur général de nous déférer au centre de rétention de Bouchoucha. (...) N’ayant pas réussi à joindre des avocats, j’ai contacté mes parents (qui) se sont présentés au commissariat Charles de Gaulle. Ma mère a expliqué aux policiers que je suis un homme sans histoire (je n’ai jamais connu de condamnation en Tunisie ou en France), cadre hospitalier de profession et que donc il n’y avait aucune raison que je sois envoyé au centre de détention de Bouchoucha.»
«La tête contre le mur»
Le ton monte, il y a des insultes de part et d'autre. «Puis un policier m’a saisi par les cheveux et m’a frappé la tête contre le mur. Je saigne abondamment du front. (...) Après m’avoir violenté, plusieurs inspecteurs se sont jetés sur moi, m’ont frappé, m’ont mis à terre et menotté les bras dans le dos. Puis ils m’ont soulevé à plusieurs et jeté comme un vulgaire sac de patates dans le fourgon de police. Je me suis retrouvé le visage collé au plancher du fourgon – coincé entre la banquette arrière et les sièges avants – avec mes bras menotté dans le dos. Et là j’ai vécu le plus terrible moment de ma vie. A savoir que j’ai été roué de coups par trois inspecteurs –coups de poings et pieds – tout le long du trajet qui me menait à l’hôpital Charles Nicolle.»
A l'arrivée à l'hôpital, «je suppliais les policiers de desserrer les menottes. Je souffrais le martyre. J’en porte encore les stigmates sur les poignets. Ils ont refusé d’accéder à ma requête. Un infirmier a nettoyé ma plaie au niveau du front puis il a posé un pansement.» Il est ensuite emmené au petit matin au centre de détention de Bouchoucha, où il retrouve son agresseur. «Il a reconnu avoir énormément bu et m’a présenté ses excuses. Excuses que j’ai acceptées.» De là, les deux hommes sont transférés au tribunal de première instance de Tunis, où ils attendent des heures. «Nous avons été condamnés chacun à une amende de 100 dinars tunisiens [46 euros] pour violence.»
L’ambassade à Tunis, contactée par Libération, confirme les faits. Le consulat a «accusé réception» de la lettre. Mohamed Messaoudi, qui souffre encore de ses blessures, dit attendre «une protestation officielle» de la part des services français.
Les ONG dénoncent régulièrement les pratiques de la police en Tunisie, particulièrement mise en cause dans la répression des manifestants de 2011. Selon une étude réalisée à l’été 2012, seuls 30% des habitants de Tunis disent éprouver un sentiment de sécurité en voyant un policier. 35% pensent que la police tunisienne privilégie certaines catégories de la population à d’autres .
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Via: liberation.fr
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