Tunisie: l’islamisme menacé par du rap et des tétons

Entretien avec les Femen libérées: "Les prisons tunisiennes sont pleines de femmes qui ont voulu être libres".

Arrêtées le 29 mai à Tunis pendant une action de soutien à Amina Sbouï, les militantes Femen Marguerite Stern, Pauline Hillier et l’Allemande Josephine Markman ont été condamnées à quatre mois de prison, avant d’être finalement libérées et expulsées après un mois de détention. De retour en France, Marguerite et Pauline parlent d’une seule voix à Charlie de la condition des femmes en Tunisie… au sortir de 24 heures de garde à vue suite à leur action devant l’Élysée le 3 juillet.

Les Femen Pauline Hillier et Marguerite Stern

la religion en prison, par LuzCharlie Hebdo: Aujourd’hui, quelles femmes enferme-t-on en Tunisie, et pourquoi?
Marguerite Stern et Pauline Hillier: Dans la cellule, on était avec des courtes peines et des longues peines. Il n’y avait pas de différenciation par rapport à ça. Et ce n’était vraiment pas toutes des criminelles. Il y avait quatre meurtrières, quelques voleuses, mais la plupart de ces femmes étaient en prison comme nous, à cause de ce mot-valise d’« atteinte aux bonnes mœurs », dans lequel on met tout et n’importe quoi. Il y avait pas mal de femmes adultères — l’adultère, c’est cinq ans de prison, et la seule chose qui peut les faire libérer avant, c’est une lettre du mari qui les autorise à sortir… Il y avait aussi une jeune fille qui s’était fait violer par deux garçons, du coup, ils avaient retrouvé du sperme dans son vagin alors qu’elle n’était pas mariée… Quatre ans de prison. Il y avait aussi une femme qui avait eu une histoire d’amour avec un Libyen. Résultat, elle a été condamnée pour atteinte aux bonnes mœurs. Ils trouvent toujours dans la loi des moyens de mettre des gens en prison. Elles se retrouvent en détention provisoire, puis elles attendent leur procès deux, trois, quatre mois. Par exemple, il y avait une petite jeune, dont quelqu’un a dit qu’elle avait été témoin d’un meurtre. Donc, on l’a mise en prison en attendant le procès pour cette histoire de meurtre… Et cette gamine passe des mois en prison.

Dans des conditions de détention, on suppose, pas faciles.

On était à la prison pour femmes de Tunis, qui s’appelle La Manouba. Les cellules, ce sont des chambres de 20 lits, mais il arrive qu’on y mette jusqu’à 40 personnes. Nous, on était 28 — donc il n’y avait que 16 personnes qui partageaient leur lit, tête-bêche… Et on était dans la chambre la moins pénible, parce qu’on avait des matelas sur les lits en fer, alors que dans les autres chambres elles n’ont que des couvertures. Les conditions sanitaires sont très difficiles. Nous, en un mois, on n’a eu qu’une douche, qui ne s’est pas très bien passée d’ailleurs. On a été amenées dans une espèce de douche collective, séparée en divers blocs. Pour se doucher, on a enlevé nos culottes, et là, on s’est fait engueuler et insulter par une gardienne : elle nous disait que nos sexes étaient honteux. Donc, on s’est empressées de remettre nos culottes. Et après, la même gardienne a estimé qu’on ne se lavait pas correctement — parce qu’on avait encore de la peinture sur nous — et elle est venue dans nos blocs pour nous laver en continuant à nous engueuler… Après, on a compris que les autres se lavaient dans la cellule, dans ce qui nous servait de toilettes.

homosexuelles athées en prisonEn fait, dans la prison, il y a plein de règles à propos du corps des femmes. Par exemple, sur les habits qu’il faut porter. Même à l’intérieur de la chambre, on n’a pas le droit de porter n’importe quoi. On n’a pas le droit de dormir en culotte ou en short — le débardeur, elles le toléraient pour nous, mais ça les choquait. Quand on sort de la chambre, il faut absolument avoir les épaules couvertes et le pantalon jusqu’au dessous des genoux, voire plus. Et quand on sort de la prison, il faut être couverte complètement. Quand des avocats hommes nous rendent visite, ils nous mettent une djellaba.

Toutes ces femmes qui étaient là pour adultère, ou pour avoir subi un viol: est-ce que ce type de peine existait déjà dans la loi, ou est-ce récent?

En fait, ça n’existe pas vraiment dans les textes de loi. Mais ce qu’elles nous ont dit, c’est que, du temps de Ben Ali, ce n’était pas comme ça. Les lois se sont durcies pour les femmes de manière spectaculaire. Elles nous disaient même que sous Ben Ali, il y avait une hyperprotection des femmes : si on frôlait une femme dans la rue de manière un peu brutale, on pouvait avoir vraiment des ennuis. Avant, on faisait les contrôles d’identité sur les femmes qui portaient un voile dans la rue, maintenant, c’est l’inverse, on contrôle les femmes qui ne portent pas de voile, ou qui boivent un café toutes seules. Les policiers rentrent dans le café, leur demandent ce qu’elles font là, toutes seules… Il y en avait une qui était enfermée à La Manouba parce qu’elle était sortie en minijupe alors qu’il pleuvait. Du coup, ils ont estimé qu’elle portait cette jupe pour provoquer sexuellement. Donc, atteinte aux bonnes mœurs, prison…

Montrer ses seinsEt l’homosexualité, c’est puni?

Officiellement, je ne crois pas, non. Mais si, en prison, tu es soupçonné de ça, tu fais six mois de plus. De toute façon, avec l’atteinte aux bonnes mœurs, ils peuvent tout punir. S’embrasser dans la rue, légalement, ce n’est pas un crime, sauf qu’il y a des gens qui sont en prison pour ça… À un moment, on a parlé avec une fille des combats de Femen pour le mariage gay, elle nous a dit : parlez tout bas, il ne faut pas qu’on entende.

C’était le sujet le plus tabou?

Il y avait ça, et les Juifs. Une fois, une fille nous a carrément demandé : vous aimez bien Hitler ? Et on s’est rendu compte, en parlant avec elle, que cette jeune fille de 23 ans, avec le bac, qui faisait des études de tourisme, donc censée être plutôt éduquée, on ne lui avait jamais parlé de la Shoah à l’école. Elle ne savait pas ce que c’était.

Quelle est la place de la religion, en prison?

On se réveillait tous les matins avec deux heures de religion à la télé. La seule activité qu’on leur propose, c’est l’éducation religieuse, le seul livre disponible, c’est le Coran… Il y a officiellement une bibliothèque, à la prison, mais les détenues n’y ont jamais accès. Certaines nous ont dit que leur famille leur avait envoyé des livres, et qu’elles les attendaient toujours… Et puis, si elles ont un problème de santé, c’est quasiment mission impossible de voir un docteur. Les malaises et les vomissements à l’intérieur de la cellule, c’est quasiment quotidien. Alors, comme elles ne peuvent pas voir un médecin, leurs codétenues leur lisent le Coran… Faute de médicaments, elles se tournent vers la religion. Il y en avait aussi qui étaient très très pieuses. La moitié de la cellule faisait la prière cinq fois par jour. Il y a des femmes dont on n’a jamais vu les cheveux, qui portaient le voile même en dormant, même dans une prison pour femmes.

conversionVous avez pu dire, à un moment, que vous étiez athées?

Oui. Mais il y en avait beaucoup qui croyaient qu’on était catholiques. Ne pas avoir de religion, pour elles, c’était inconcevable. Elles ont essayé de nous convertir, d’ailleurs. Elles nous disaient : essaye de croire qu’il y a un dieu, et tu vas voir, tu vas y croire, et ça ira mieux.

Comment étiez-vous perçues ? Que disaient-elles de vos actions, et de celle d’Amina?

Elles étaient très curieuses sur nous, sur notre histoire, sur celle d’Amina… On en a énormément parlé. Sur le fond, le pourquoi on l’avait fait, elles étaient à 100 % avec nous. Elles trouvaient ça fou qu’on ait traversé la Méditerranée pour aller soutenir une fille qu’on ne connaissait pas. C’est ça, surtout, qui les a impressionnées. Après, sur la forme, elles étaient surprises, même si, dans la cellule, elles s’amusaient à soulever leur tee-shirt. Et puis, dès qu’il y avait quelque chose sur nous au journal télévisé, il y avait un silence dans la chambre, elles étaient toutes pendues à la télé, pour nous traduire et nous donner un maximum d’informations — notre condamnation à quatre mois, on l’a apprise au journal télé… On leur a expliqué qu’on était venues défendre Amina, qui était un symbole de cette jeunesse tunisienne qui veut se battre pour la liberté. Les dix premiers jours, elles nous ont bombardées de toutes leurs histoires, pour qu’on puisse témoigner. Elles avaient vraiment envie qu’on se fasse porte-parole de toutes les Amina qui sont en prison. Parce que des jeunes filles ou des femmes qui sont en prison parce qu’elles ont voulu être un peu libres, il y en a plein. Et, depuis qu’on est rentrées, on reçoit plein de messages de soutien. On a appris par exemple que la famille d’Amina, quand elle a vu que deux Françaises étaient venues soutenir leur fille tunisienne, s’est retournée complètement pas rapport à elle et a commencé à la défendre. Il paraît que sa mère nous avait même apporté de la nourriture à la prison, mais on n’en a jamais vu la couleur…

Que disent-elles de la situation aujourd’hui en Tunisie ?

Elles disent que les jeunes se sont fait voler leur révolution par les salafistes. Les barbus, comme elles les appellent. Que c’est pire qu’avant, qu’il y a vraiment un espoir déçu. Mais elles disent aussi que ce n’est pas terminé, qu’une révolution, ça prend du temps.

Une semaine après votre retour, vous faites une action devant l’Élysée. Quel effet ça fait ?

Honnêtement, depuis qu’on est rentrées, on pense à toutes les femmes qui sont encore en prison, à Amina. On n’arrête pas de le répéter : tant qu’Amina ne sera pas sortie, on ne sera pas tranquilles, et on ne pourra pas arrêter cette campagne. En plus, on a vécu ce qu’Amina est en train de vivre, on sait qu’elle angoisse dans l’attente de son procès, qu’il y a la peur de l’été qui arrive, du ramadan en prison… Et on comprend encore plus la force de son geste, le courage qu’elle a eu d’aller défier ces salafistes à Kairouan.

Pour notre action à l’Élysée, c’était quand même une surprise pour nous d’avoir fait 24 heures de garde à vue, pour exhibition sexuelle. Visiblement, on ne comprend toujours pas, en France, que ce qu’on fait n’est pas une exhibition sexuelle, mais une démonstration politique.

Propos recueillis par Gérard Biard et Luz

 

Entretien avec le rappeur weld el 15: "Les islamistes tunisiens auront une sale fin".

À peine libéré de sa geôle, le rappeur tunisien Alâa Yâacoubi, alias Weld el 15 (« le fils du 15 »), âgé de 25 ans, reprend le combat pour la liberté d’expression.

les islamistes auront une sale finCharlie Hebdo: Depuis quand êtes-vous rappeur?
Weld el 15: Mon parcours artistique n’a pas commencé dans la musique, mais dans le théâtre, vers l’âge de dix ans. J’ai toujours écouté du rap, mais je n’ai commencé à en faire que bien plus tard. En 2008, j’ai signé avec une production américaine, avec qui j’ai travaillé jusqu’à fin 2011. Mais l’essentiel de mon travail est sur Internet, parce que ce n’est pas facile de s’exprimer en Tunisie.

Quelles étaient vos conditions d’incarcération?

Normales, comme tout le monde. Encore que moi, j’étais dans une cellule de six, alors que je voyais plus loin des cellules où s’entassaient 80 ou 100 personnes. J’ai aussi vu plein de détenus qui purgent encore des peines prononcées durant l’ère de justice d’abattage de Ben Ali.

Avez-vous déjà imaginé que vous puissiez aller en prison à cause de votre travail d’artiste ?

Jamais. Comment envisager une telle chose, surtout après la révolution ? Je croyais qu’après le départ de Ben Ali on allait avoir le droit de briser tous les tabous, mais c’est le contraire qui s’est passé. Je pensais réellement que la censure allait disparaître, mais je me suis lourdement trompé. Sous l’ancien régime, je tentais de m’exprimer tant bien que mal, j’arrivais quand même à véhiculer quelques messages dans mes chansons, mais j’étais boycotté. Je n’étais jamais invité aux concerts, et encore moins dans les médias. Je mettais donc mes chansons sur Internet. Comme il était difficile de bosser avec une production à l’époque, même mes clips étaient diffusés sur le Net, alors que j’étais l’un des premiers rappeurs en Tunisie à faire des clips en qualité HD.

Avez-vous participé à la révolution du jasmin ?

Bien sûr. Mais je n’ai pas voulu être simplement artiste à ce moment-là. Se contenter de faire une chanson, ça aurait été débile, parce que les gens mouraient dans la rue, c’était là qu’il fallait être.

Comment a débuté votre calvaire judiciaire avec la chanson « Boulicia Kleb » (NDLR : « Chiens de policiers ») ?

Quand je l’ai mise sur Internet, ce texte, où je décris la dictature policière en Tunisie, a suscité des réactions très violentes. J’ai tout de suite commencé à recevoir des insultes et des menaces de mort. Ils ont insulté ma mère et toute ma famille, et ils ont juré de me faire la peau. Je pensais que ça allait s’arrêter là, mais j’ai constaté après qu’il y avait un mandat de recherche national contre moi. Ça m’a fait tout drôle. J’aurais pu prendre la fuite, ils ne m’auraient jamais trouvé, mais j’ai préféré aller moi-même me présenter à la justice, parce que je n’avais rien à me reprocher. Beaucoup m’avaient proposé de sortir par la frontière libyenne et de demander l’asile politique en Europe par la suite, mais j’ai préféré rester en Tunisie, quitte à faire de la prison.

Vous regrettez cette décision aujourd’hui ?

Non. Je regrette simplement que la justice tunisienne ne soit pas indépendante. Le jour où je me suis retrouvé devant la juge, j’ai tout de suite compris que j’allais en prendre pour deux ans. Cela se voyait dans son regard, dans ses propos, qu’elle appliquait une justice aux ordres. C’était comme à l’époque de Ben Ali, c’est encore le même système. Je ne regrette pas non plus la chanson qui m’a mené en prison, au contraire. Je n’ai pas commis de crime pour le regretter.

Qu’est-ce qui a changé, alors, après la révolution ?

Elle est au point mort. Là, il va falloir continuer. Une révolution, c’est du boulot, regardez en France, votre révolution a duré des décennies. Aujourd’hui, en Tunisie, tout est plus cher, rien ne fonctionne, alors la moindre des choses, c’est d’avoir la liberté d’expression.

Quel message aimeriez-vous adresser au gouvernement islamiste ?

J’ai envie de leur dire que toutes les dictatures à travers l’Histoire, de Hitler à Ben Ali, ont eu une sale fin. C’est ce qui ne va pas tarder à leur arriver.    

Propos recueillis par Zineb El Rhazoui

 

 

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