Un sein dans un lieu saint, exhibition sexuelle ou pas ?

Etrange débat, mercredi, à la dixième chambre du tribunal correctionnel de Paris. Alors que les Femen manifestent depuis deux ans en France sans trop de problèmes judiciaires, tout d’un coup, elles sont accusées d’exhibition sexuelle. Eloïse Bouton, 31 ans, journaliste pigiste, était jugée pour cela après une action, le 20 décembre 2013, à l’église de la Madeleine. Elle était entrée dans le lieu de culte, avait brandi, seins nus, des foies de veau pour représenter l’avortement du fœtus de Jésus et protester contre la position de l’Eglise sur le sujet. Sur son corps était écrit «344e salope», référence au manifeste des 343 salopes publié dans le Nouvel Observateur en 1971. L’action avait duré deux minutes, Eloïse Bouton quittant ensuite l’église dans le calme. De nombreux photographes étaient présents, personne ne discute les faits.

La Madeleine, par l’intermédiaire de son curé, a décidé de porter plainte pour exhibition sexuelle, ce que la justice a retenu. Tout l’enjeu des débats mercredi était de déterminer si cette action en était une ou pas. En l’occurrence, interpréter l’article 222-32 du code pénal qui juge que «l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende».

Après le rejet d’une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déposée par l’avocat de la défense, Michaël Ghnassia, sur la définition trop floue selon lui de cet article, les débats peuvent commencer. Pour l’avocat de la partie civile, Laurent Delvolvé, pas de doute, le qualificatif d’exhibition sexuelle se justifie par la nature même des Femen. «Ce sont des sextrémistes, revendiquent-elles dans leur Manifeste», explique-t-il. Il rappelle le slogan, «mon corps est mon arme» et estime ainsi que leur combat est par nature sexuel.

Eloise Bouton, a former member of the Femen movement, arrives at court for her trial, on October 15, 2014 in Paris, as she faces charges of indecent exposure after toplessly miming an abortion in a Paris church in December 2013. AFP PHOTO/FRANCOIS GUILLOT

Eloïse Bouton, lors de son procès, le 16 octobre. (Photo AFP)

Les seins doivent être, également, pour l’avocat, considérés comme «sexuels». Il s’appuie pour cela sur un arrêt de la Cour de cassation de 1965 qui avait condamné une femme pour avoir joué topless au ping-pong sur la croisette, à Cannes. Il sort également un étrange argument, repris ensuite par le procureur: le sein est sexuel car quand un agresseur touche la poitrine d’une femme, «c’est qualifié d’agression sexuelle».

Un argument, qui à l’issue des débats, laisse pantois Fatima-Ezzahra Benomar, du collectif féministe Les Effronté-e-s, présente dans la salle. «Si quelqu’un met son doigt ou autre chose dans ma bouche cela va être une agression sexuelle, et pourtant je veux avoir le droit de montrer ma bouche», juge-t-elle par l’absurde.

Mais la partie civile et le procureur, dont les argumentaires se ressemblent étrangement, marchent aussi sur des œufs. Ils entendent bien que toute poitrine n’est pas forcément de l’exhibition sexuelle, «cela dépend aussi du lieu et des circonstances». En cela, Laurent Delvolvé juge les lieux de culte intouchables, «comme une école ou un tribunal». «A l’entrée de l’église de la Madeleine, une tenue correcte est exigée, rappelle-t-il. On doit du respect à l’école, on doit du respect à la justice, on doit être respectueux des lieux de culte, cela en va du principe de laïcité. Il n’y a pas de liberté d’expression dans un lieu de culte», ose-t-il. Et de sous-entendre que si l’action avait eu en dehors de l’église de la Madeleine, on n’en serait pas là, à papoter au tribunal.

«Tribunal ecclésiastique»

«On veut se servir d’une infraction pénale pour pénaliser une infraction cultuelle, qui n’existe pas, répond Michaël Ghnassia. En parlant d’atteinte à la foi et à la religion, c’est le blasphème qui se lit entre les lignes, cela relève du tribunal ecclésiastique», continue-t-il ironiquement. Et de rappeler que lors des actions précédentes des Femen, nombreuses, il n’y eut jamais de poursuites pour exhibition sexuelle. Même lors de celle à Notre-Dame.

Seul problème pour la défense, ce mercredi matin même, une autre Femen, Iana Jdanova, a été condamnée à une amende pour dégradation et exhibition sexuelle, une première. Seins nus, elle avait détruit au musée Grévin la statue de Poutine. Dans les deux cas, cela n’a pas été noté par les tribunaux, mais les activistes poursuivies avaient agi seules. Est-ce plus sexuel en solitaire qu’en groupe ? On ne sait pas. Est-ce aussi parce que les politiques, de droite et de gauche, ont condamné ces actions et que les Femen ne sont plus trop en odeur de sainteté ? Peut-être.

Défendant l’action politique et idéologique d’Eloïse Bouton, Michaël Ghnassia souligne qu’on ne poursuit pas les intermittents quand ils se mettent tous nus pour accueillir Aurélie Filippetti. Il rappelle que la vision d’une poitrine, notamment dans la publicité, est «banalisée», et que la manifestation seins nus date de bien avant les Femen. Cela a été une arme régulièrement utilisée par les féministes. «Il y a une démarche politique et artistique, une volonté de mise en scène», argumente-t-il, défendant la liberté d’expression.

Puisqu’il faut remonter à 1965 pour la jurisprudence, il note également que dans cette affaire de jeune femme condamnée pour avoir joué au ping-pong dévêtue, ce n’est pas les seins nus qui ont été directement incriminés mais «leur mouvement».

Eloïse Bouton, qui a désormais quitté le mouvement Femen dans lequel elle ne «se retrouvait plus», est appelée à la barre. Elle avoue qu’elle voulait «choquer», évidemment. Mais c’était «au niveau politique, pour provoquer une prise de conscience».

Le procureur a requis trois à quatre mois de prison avec sursis et une amende de 1 500 euros. Le tribunal rendra son délibéré le 17 décembre. Une éventuelle condamnation n’interdirait pas aux Femen de continuer de manifester ainsi, notamment dans la rue, mais elle rendrait leur tâche de plus en plus compliquée. Surtout si la décision fait jurisprudence, les exposant systématiquement à la même condamnation quand elles voudront agir dans des lieux symboliques. 

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Via: next.liberation.fr


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