Doit-on se taire face à des prêches intégristes et misogynes ?

Quand les Femen s'invitent au Salon musulman du Val d'Oise

Le week-end du 12 et 13 septembre dernier, s’est tenue à Pontoise la troisième édition du Salon musulman du Val d’Oise, destinée en partie à mettre la femme musulmane « à l’honneur ». Les noms des prêcheurs au programme ont suscité une active campagne citoyenne pour faire interdire ce salon. C’est d’ailleurs ce qu’avait demandé Laurence Marchand-Taillade, présidente de l’Observatoire de la laïcité du Val d’Oise, au Préfet.

 

Pour les réseaux sociaux, des lanceuses d’alerte ont posté des vidéos des religieux au programme. Nous avons ainsi découvert, entre autres, Mehdi Kabir, imam à Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis, qui tonne contre les femmes sans voile : « Comment est-ce que le mari peut se permettre de laisser sa femme sortir ainsi, comment le frère peut se permettre de laisser sa sœur sortir ainsi  ? Le père laisser sa fille sortir ainsi  ? », qualifiant au passage les femmes qui se parfument de « fornicatrices ». Et les hommes qui n’oublient jamais leur eau de toilette ou leur after shave avant de sortir  ? Des fornicateurs eux aussi  ?

Et connaissiez-vous Rachid Abou Houdeyfa, imam de la mosquée de Brest, qui sur les réseaux sociaux exhorte les femmes musulmanes à porter le voile, sous peine d’encourir les feux de l’enfer dans l’au-delà, et des agressions sexuelles ici bas.

 

 Si la femme sort sans honneur, qu’elle ne s’étonne pas que les hommes abusent de cette femme-là. 

 

Bref, la version intégriste du tristement célèbre « si vous êtes violée, c’est parce que vous l’aurez bien cherché ».

Enfin n’oublions pas Nader Abou Anas, imam au Bourget, qui prononce ces fortes paroles dans une vidéo édifiante : « La femme, elle ne sort de chez elle qu’avec la permission de son mari (sic). Le soir, il a un besoin, il a une envie, elle ne veut pas… l’homme, il craque… Qu’elle sache que les anges la maudissent toute la nuit dans le cas où elle se refuse à son mari sans raison valable. » En clair, une justification du viol conjugal, sous couvert de religion. Nous rappelons à ce religieux qu’en droit, être mariée ne justifie pas d’être traitée comme une enfant devant demander la permission à papa pour sortir. Toute citoyenne a le droit d’aller et venir à sa guise. Nous rappelons aussi que le mariage ne signifie en rien qu’une femme soit forcée de subir des relations sexuelles non désirées avec son mari. Le harcèlement sexuel et le viol par le mari sont punis par la loi.

C’est donc contre cet obscurantisme, qui nie l’égalité femmes-hommes inscrite dans le préambule de la Constitution depuis 1946, que samedi 12 septembre, deux Femen, Myriam et Tara, entrées incognito et voilées, sont montées sur scène au moment où intervenaient deux prêcheurs. Seins nus, elles ont crié : « Personne ne me soumet », « Je suis mon propre prophète », slogans écrits sur leur torse. Elles ont été violemment éjectées de la scène, et Myriam, en particulier, a été rouée de coups de pied alors qu’elle était à terre, comme on le voit sur une vidéo, tandis que des voix venues du public hurlaient : « Il faut les tuer  ! », « Sales putes  ! » Les masques sont tombés…

 

Des interventions controversées

Certes, les interventions des Femen, notamment dans des lieux de culte, ont souvent été controversées. Celle-là également, y compris par des féministes, qui leur reprochent d’offrir une position victimaire aux intégristes, et de renforcer les convictions de leurs ouailles. Mais rappelons que ce jour-là, elles n’ont pas perturbé une cérémonie religieuse dans une église ou une mosquée, mais un salon au parc d’exposition de Pontoise. Et quoi qu’on pense de la pertinence de leurs interventions, elles ont été les seules à porter, avec courage et sur leur terrain, la contradiction aux obscurantistes.

Des observateurs sourcilleux ont eu beau jeu de souligner que, contrairement aux déclarations de Inna Shevchenko, présidente des Femen France, les religieux ne débattaient pas pour savoir si on pouvait ou pas battre sa femme au moment où les Femen ont bondi sur scène, mais qu’au contraire, Mehdi Kabir était en train de demander aux musulmans « de suivre le modèle du prophète, qui ne tapait jamais sa femme et qui ne se faisait pas servir ». Il faut être naïf ou de bien mauvaise foi pour ne pas décoder que ce discours « rassurant » était dû à la présence de caméras et de micros, à l’affût de tout dérapage sexiste, étant donné la mobilisation contre le salon  ! Aux dernières nouvelles, la présidente des Femen a annoncé que les deux militantes agressées porteraient plainte pour violence. De leur côté, les organisateurs du salon portent plainte pour « exhibition sexuelle ».

En ce qui nous concerne, les discours profondément misogynes tenus avant ce salon par les religieux au programme, relayés sur Internet depuis longtemps, nous suffisent. Considérations électorales ? Peur de se voir traiter d’islamophobes alors que ce qui est dénoncé, ce n’est pas l’islam mais la misogynie des religieux programmés sous couvert de religion ? Nous n’entrerons pas ici dans une analyse complexe pour comprendre l’inertie des politiques. Citons simplement Céline Pina, conseillère régionale PS du Val d’Oise, rare élue à avoir publiquement protesté : « Les organisateurs (de ce salon) démontrent que ce discours est légitime puisqu’il est accepté et ne déclenche aucune réaction, ni de l’Etat, ni des élus locaux. Et si peu de la société civile, car quand elle manifeste sa désapprobation, elle est renvoyée à une image de raciste, post-colonialiste, par ceux qui devraient la soutenir. ».

 

Se taire, c’est abandonner les femmes de culture musulmane qui se rebellent contre l’obscurantisme, mais qui ne sont pas toutes en mesure de résister aux pressions d’un entourage acquis aux idées intégristes. Or Marie Claire a toujours combattu l’oppression des femmes, d’où qu’elle vienne.

(*) Comme Valéry Rasplus, sociologue, et Nadia Geerts, enseignante : " Salon musulman du Val-d’Oise   : les femmes à l'honneur ? Non, communautariste et sexiste". Et une pétition a appelé à interdire cet évènement. Elle comptait plus de 10 400 signataires le mardi 15 septembre.

" Je suis mon propre prophète "

Tara, Femen, 21 ans  

« Pendant que Myriam, à terre, était frappée à coups de pied, qu’on lui tirait les cheveux violemment, quelqu’un m’a attrapée et m’a lancée hors de la scène. Je suis tombée directement sur les fesses et le dos, et j’ai eu mal deux jours après. J’entendais les insultes : “sales putes !”, “tuez-les !”, “violez-les !”. Nous avons aussi été traitées de folles, d’irresponsables, de droguées. Au moment où nous sommes intervenues, un religieux expliquait qu’il ne faut pas battre sa femme, mais quand on voit le déferlement de violence physique contre nous… C’est vraiment de l’hypocrisie. Des responsables de l’organisation demandaient aux gens de se calmer pour ne pas montrer cette image violente de leur salon. Dans la cohue pendant mon évacuation, difficile de distinguer qui faisait partie du service d’ordre, qui faisait partie des organisateurs ou de la police en civil. La police est arrivée très vite, à mon grand soulagement, car j’avais peur que la foule nous lynche, et nous a fait monter dans une voiture. Des gens accouraient pour continuer à nous insulter. Au commissariat, les policiers se sont montrés bienveillants. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de personnes indignées par ce salon nous interpellaient, nous demandaient d’intervenir, comme si nous étions les seules à pouvoir faire quelque chose ! Mais nous ne pouvons rien toutes seules. Il faut que ça bouge  ! »

"Un salon prosélyte qui fait la promotion d’une idéologie machiste, misogyne, digne du Moyen-Age, n’a pas sa place dans notre pays"

Christine Le Doaré, juriste et l’une des lanceuses d’alerte, ex-présidente de SOS Homophobie et du Centre LGBT Paris-IDF 
« Je pense que si un salon, par son programme et ses intervenants (leur discours ou prêche), est discriminatoire envers une catégorie de la population – et là il l’était envers les femmes –, il doit être interdit. A fortiori s’il contrevient aux principes fondamentaux de notre Constitution, et s’il viole les conventions qui traitent des droits humains, des droits des femmes, de l’égalité femmes-hommes. Un salon prosélyte qui fait la promotion d’une idéologie machiste, misogyne, digne du Moyen-Age, n’a pas sa place dans notre pays. Pas plus d’ailleurs que ces prêches habituels dans certaines mosquées, quand on connaît l’influence de tels propos sur les jeunes. C’est totalement irresponsable de permettre leur diffusion. Les pouvoirs publics, les politiques, les associations feraient bien de se ressaisir, sinon notre démocratie laïque ne fera pas long feu. »

 

"Si des extrémistes expliquaient que les gays, les Noirs, les musulmans ou les juifs ont moins de droits que les autres, il y aurait à juste une levée de boucliers."

Isabelle Steyer, avocate, spécialiste des droits des femmes et des enfants 
« On entend ici et là qu’un discours contraire aux droits des femmes ne tombe pas sous le coup de la loi. Que le croyant n’est pas obligé d’adhérer aux valeurs laïques et républicaines inscrites dans les lois et notre Constitution. Certes, le croyant peut penser ce qu’il veut. Mais s’il remet en cause l’égalité femmes-hommes, s’il incite dans des prêches, des vidéos, les fidèles à commettre des délits, voire des crimes – comme le viol –, pour non port du voile, la question du trouble à l’ordre public peut alors être débattue. Ces discours risquent d’entraîner des passages à l’acte violents contre les rebelles au modèle imposé de la femme musulmane. Sans compter les injures et menaces de leurs ouailles sur les réseaux sociaux contre leurs contradicteur-trice-s et opposant-e-s. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de jurisprudence sur une interdiction de conférence où doivent intervenir des prêcheurs réputés pour leur misogynie prosélyte, que la question ne peut pas être débattue. A moins de considérer que la discrimination en raison du sexe est moins importante que les autres. Or cette discrimination est inscrite dans la loi 225-1 du code pénal. Le texte est clair : « Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, etc. » Si des extrémistes expliquaient que les gays, les Noirs, les musulmans ou les juifs ont moins de droits que les autres, il y aurait à juste une levée de boucliers. Et pas pour les femmes  ?

 

"Je n’ai aucune indulgence pour les militants du sexisme et de la soumission des femmes sous couvert d’un ordre religieux"

Pascale Boistard, secrétaire d’Etat aux Droits des femmes, extrait du discours du 17 septembre, à la conférence sur les femmes contre l’extrémisme, organisée par la députée du Calvados Nicole Ameline 
« J’aimerais, puisque nous parlons de laïcité, brièvement revenir sur les évènements de ces derniers jours. J’ai examiné avec beaucoup d’attention la situation posée par le Salon de la femme musulmane, qui s’est déroulé à Pontoise. Dès les premiers signalements, j’ai immédiatement demandé au ministère de l’Intérieur de saisir le préfet du Val d’Oise.
Je n’ai aucune indulgence pour les militants du sexisme et de la soumission des femmes sous couvert d’un ordre religieux, quel qu’il soit. Et parce que notre modèle de société est celui de la démocratie et de l’Etat de droit, je veux être précise sur ce que nous pouvons faire ou ne pas faire dans ces situations. Rien ne serait pire que des effets d’annonce aux bases juridiques fragiles et qui donnent par la suite des victoires aux adversaires de l’égalité.
La loi ne nous permet pas d’interdire des évènements de cette nature avant leur tenue puisqu’on ne peut pas présager avec certitude que des propos condamnables vont y être exprimés. C’est une des différences importantes en droit avec la situation des spectacles de Dieudonné par exemple. Il faut en revanche rester extrêmement vigilant pour que les propos contraires à la loi qui pourraient être tenus soient relevés et fassent l’objet de poursuites.
C’est l’attitude que nous avons adoptée au sujet du Salon musulman du Val d’Oise qui était organisé ce week-end à Pontoise. Après avoir pris connaissance de la liste des intervenants, dont certains ont tenu des propos répréhensibles par le passé, nous avons pris les dispositions nécessaires pour que des poursuites soient engagées si de tels propos étaient prononcés. Aucun propos contraire aux lois de la République ne peut être toléré.
La France est un pays laïc. C’est une évidence qu’il faut répéter, toujours expliquer. Faisons en sorte que l’égalité dans le choix, la liberté de parole et de conscience soient préservées pour chacune d’entre nous. C’est le gage de notre liberté, de notre égalité, de notre sororité et de notre fraternité. »

" Il me paraît important que les femmes musulmanes connaissent les textes de l’Islam utilisés par les intégristes pour mettre les femmes dans une situation de soumission"

Fatiha Benatsou, préfète, ex-préfète à l’égalité des chances dans le Val d’Oise 
«  Il me paraît important que les femmes musulmanes connaissent les textes de l’Islam utilisés par les intégristes pour mettre les femmes dans une situation de soumission, ce qui permettrait aux femmes de contredire ces prédicateurs misogynes sur leur propre terrain. Si elles savent ce qu’il y a dans le Coran, elles pourront leur répondre que ce qu’ils présentent comme une vérité indiscutable n’est que leur interprétation.  »

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Via: marieclaire.fr


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