On parle beaucoup des mouvements féministes et pourtant depuis un peu plus d’un an, un mouvement féminin, sortant du schéma habituel, a fait son apparition sous le nom des Antigones. Souvent discrédité par les grands médias traditionnels, il tente cependant de proposer une autre voie, basée sur la réflexion et l’action. Isabelle, une membre des Antigones, a bien voulu répondre à nos questions…
1) Antigones, c’est un nom original, pourquoi l’avoir choisi ?
Le nom d’Antigones a été choisi pour le symbole qu’il représente : l’héroïne de Sophocle incarne la résistance aux lois positives injustes, en vertu de lois non écrites qui renvoient à une transcendance, et dépassent les contingences de la vie politique d’un lieu et d’un jour. Aujourd’hui, nous nous élevons contre les dérives idéologiques de la vie politique occidentale – on peut penser par exemple aux différentes idéologies du genre, dans l’actualité récente – et souhaitons refonder les débats sur l’homme et la femme dans une anthropologie respectueuse de la nature, du passé et du sacré.
2) On vous oppose souvent aux Femen à qui vous avez déclaré la guerre, en quoi vous différenciez-vous ? Comptez-vous élargir votre champ d’action ?
Nous n’avons pas « déclaré la guerre » à Femen, mais notre rassemblement est parti en effet d’une confrontation avec ce groupuscule « sextrémiste ». Iseul Turan, l’initiatrice de notre rassemblement, avait été interpellée et choquée par les actions des Femen. Elle a voulu les comprendre de l’intérieur, les a infiltrées, et a été profondément choquée par les pratiques dont elle a été témoin, la façon dont les militantes étaient traitées, l’idéologie régnante et l’absence de réflexion. Antigones est en partie le fruit de cette expérience : Femen impose à ses membres une idéologie préexistante – nous n’avons pas d’idéologie toute faite, mais construisons ensemble, jour après jour, une réflexion qui se veut au plus près de la vérité. Femen impose son idéologie par la violence et par l’insulte – nous voulons agir dans le dialogue et le respect. Femen prône la guerre des sexes – nous voulons repenser la complémentarité entre l’homme et la femme. Femen profane tout ce qui est sacré – notre discours est ouvert sur le religieux et sur la sacralité. Femen détruit – nous construisons, nous tissons jour après jour nos réflexions, nous voulons élaborer des solutions concrètes et positives pour les femmes. On pourrait multiplier encore ces effets de symétrie inversée.
Mais nous ne sommes pas simplement le contraire de Femen. Cela fait longtemps que nous avons élargi le spectre de notre réflexion et de nos actions : nous nous intéressons à la société française dans sa globalité ; nous ne voulons pas être dans l’opposition stérile, mais dans la construction sur le long terme. Nous nous sommes intéressées au cours de l’année précédente à l’instrumentalisation de la femme dans la société de consommation – c’était notre happening au Forum des Halles ; nous revalorisons les liens humains, contre une société qui réduit toutes les valeurs aux valeurs économiques – c’était notre danse symbolique devant une banque à Marseille ; nous réinvestissons des thèmes qui avaient été l’apanage des groupes féministes, comme la question des violences faites aux femmes – c’était la « Petite marche des femmes contre les violences » que nous avons organisée en novembre dernier ; et notre année 2014 propose encore d’autres angles d’attaque.
3) Comment se situe votre démarche militante ? Entre réflexion et action ?
Exactement. Nous ne croyons pas que l’action soit auto-suffisante : chacune de nos actions et de nos opérations de communication a pour but d’attirer l’attention sur une réflexion qui a été élaborée en amont. Les textes associés à chacune de nos actions sont disponibles sur notre site web, chacun peut les consulter, et approfondir ensuite la réflexion que nous y développons. Proportionnellement, nous écrivons davantage que nous n’agissons, parce que la réflexion précède l’action, et que penser prend du temps ! Les mois et les années à venir verront certainement une diversification progressive de nos actions, en fonction des moyens et des effectifs dont nous disposerons. Nous espérons à terme développer non seulement des actions de communication, mais également des actions de terrain régulières, peut-être moins médiatisées, mais qui permettraient d’œuvrer au quotidien pour le bien social – des structures d’entraide pour femmes en difficulté par exemple.
4) Vous avez créé une antenne à Marseille, étendant ainsi votre action. Comment le mouvement s’est-il développé depuis sa création ? Envisagez-vous d’autres antennes ?
Beaucoup de personnes nous ont contactées depuis le lancement d’Antigones, des personnes intéressées et intéressantes, qui souhaitent faire partie de notre structure ou travailler avec nous. Le premier obstacle est souvent l’isolement : Marseille est une grande ville, il était donc relativement facile d’y monter un groupe, qui fait aujourd’hui un travail régulier. Lyon devrait se lancer également d’ici quelque temps. Des antennes seraient envisageables dans plusieurs autres villes, comme Toulouse, Lille ou Dijon – cela sera une affaire de temps, il faut beaucoup de patience et de persévérance pour monter ce type d’organisation… !
5) On a beaucoup parlé de la loi sur l’égalité homme-femme. Sur quelle position se placent les Antigones par rapport à ce texte de loi ?
Nous travaillons précisément sur ce texte de loi depuis plusieurs semaines. On en a beaucoup parlé, mais d’une façon souvent très partielle – les principales mesures à avoir fait l’objet d’un débat public sont le trop fameux « droit à l’avortement », la question du partage des congés parentaux, et celle de la lutte contre les « stéréotypes sexistes ». Or cette loi est bien plus large – et plus inquiétante. Il s’agit d’une loi-cadre, appelée à modifier des dispositions dans tous les codes juridiques. Elle demande une lecture particulièrement attentive. Nous avons réalisé il y a quelques semaines une critique exhaustive de ce texte, que nous publions actuellement, en plusieurs articles, sur notre site. Nous y soulignons l’orientation très idéologique de ce texte : en dépit de quelques mesures intéressantes, comme par exemple le téléphone d’urgence pour les femmes victimes d’agression, la formation des personnels de police et de gendarmerie sur la question des violences faites aux femmes, ou encore la prise en compte du sexe des individus dans l’évaluation des risques professionnels, l’ensemble de ce texte véhicule une certaine conception de l’égalité très problématique. Ce sont peut-être les mesures en apparence les plus anodines qui révèlent le mieux l’idéologie sous-jacente : la disparition du nom d’épouse des documents administratifs, qui accentue encore la dissolution de la cellule familiale ; la disparition du vocabulaire juridique de l’expression « bon père de famille », jugée « patriarcale » et sexiste ; la « lutte contre les stéréotypes sexistes » enfin, à travers laquelle l’Etat se donne le droit de censurer la culture au nom d’une idéologie.
6) Comment voyez-vous l’avenir de votre mouvement ? Pensez-vous arriver à peser dans le débat public ?
L’avenir est à créer ! La perennité maintenant assurée de notre rassemblement – qui deviendra bientôt une association en bonne et du forme –, les progrès réalisés jusqu’ici, les antennes qui voient et verront le jour peu à peu, le travail intellectuel substantiel déjà mis par écrit, sont autant d’encouragements à continuer notre combat. Nous entendons peser dans le débat public, et désenclaver les débats. Beaucoup de personnes ont été déconcertées par Antigones, parce que nous refusons d’entrer dans les catégories communément admises – on nous a souvent reproché les « contours flous » de notre discours, parce que nous n’avons pas le cerveau carré : notre discours ne rentre pas dans les cases attendues. Il nous a fallu du temps pour que les gens comprennent véritablement la raison d’être d’Antigones, ses objectifs, son discours – et c’est une victoire quotidienne, parce que le cercle de nos soutiens s’accroît de jour en jour et se diversifie. On nous a récemment offert une tribune libre à l’Ecosprinter, journal en ligne des Jeunes Verts Européens – que nous puissions être invitées à nous exprimer sur des médias de ce type est un signal très encourageant : nous parvenons peu à peu à élargir les débats, à toucher des publics divers, et à diffuser notre travail. Nous collaborons actuellement avec des assistants parlementaires, pour faire connaître notre travail sur le projet de loi Egalité Femmes-Hommes. J’ai confiance en l’avenir : nos bases sont désormais solidement établies, et notre progression est régulière. Nous sommes déterminées – le reste est affaire de temps et de volonté !
Retrouvez le site des Antigones: http://antigones.fr/
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