Jour tranquille à Clichy, dans la nouvelle maison des Femen

Mercredi matin, 11 heures. Les caméras sont déjà là. Au coin de la rue du Port, à Clichy-la-Garenne, elles attendent le retour des Femen, parties faire leur jogging. Les filles arrivent essoufflées devant leur maison. “Vous n’avez pas l’air de sortir de garde à vue”, rigole une journaliste américaine. Inna Shevchenko, leur leader, passe devant pour ouvrir la grille.

La veille, 23 activistes ont manifesté devant les fenêtres de Marine Le Pen aux cris de “fascist epidemic !” (“épidémie fasciste !”). Toutes ont passé plusieurs heures en garde à vue, et l’une d’elles y est même restée toute la nuit. Pendant cinq jours, 26 Femen âgées de 19 à 43 ans, venant de toute l’Europe et des Etats-Unis, ont participé à un “Spring camp”, un stage destiné à former de nouvelles recrues et à échanger entre Femen du monde entier. Inna les a prévenues : leur action de la veille a retardé leur programme, et la dernière journée sera intense.

Alignées dans leur grande salle d’entraînement, elles enchaînent les abdos et les pompes. Une fille à cheval sur son dos, Inna plie les genoux puis les tend, à plusieurs reprises. Elle plaisante : “Allez, c’est la dernière série. Pas parce qu’on est fatiguées évidemment, mais parce qu’on n’a plus le temps.

Dans leur QG, les Femen s'entraînent. Après l’incendie de leur premier QG au Lavoir moderne parisien l’été dernier, les filles ont réinvesti cet entrepôt abandonné, où sept d’entre elles vivent quotidiennement depuis six mois. Les Femen sont convoquées devant la justice le 28 avril pour cette occupation. “On s’engage à quitter les lieux s’il y avait un plan de réhabilitation”, confie Pauline, 27 ans.

La jeune femme fait partie des Femen depuis deux ans. Elle n’a pas pu participer à l’action de la veille, parce qu’elle travaillait : “Je sers des couscous et des tajines dans une restaurant la journée, et le soir je rentre ici pour m’occuper des Femen”, dit-elle. Pour elle, l’engagement Femen n’est pas sans conséquences :

“C’est un engagement total, mais on est conscientes de ce que l’on fait. J’ai été emprisonnée en Tunisie pendant un mois, alors que mes parents ne savaient pas que je partais dans ce pays. Et dans ma famille, certains sont croyants. Physiquement aussi c’est prenant. Je ne sais pas si je tiendrai longtemps comme ça, mais je le ferai tant que j’en aurai l’énergie. Avec les Femen, on n’a pas de passé, on n’a pas de futur.”

Femen (ak)bar

Toujours en ligne, face à la grande terrasse de leur maison, elles s’entraînent à crier leurs slogans. Les oreilles souffrent. Certaines filles s’arrêtent pour reprendre leur souffle, d’autres font la grimace, gênées par les décibels. Au milieu de la ligne, Roberta, une prof d’université venue des Etats-Unis, doit changer le slogan au bout de quelques secondes. Les filles devront la suivre, “pour apprendre à s’écouter et à être synchronisées”, rappelle Inna. Elle lance un “Marine, come out !” (“Sors, Marine !”).

Avant le déjeuner, elles discutent de leur action de la veille. Pour Roberta, la prof américaine, “crier était déjà un exercice”. Certaines montrent les marques qu’elles portent sur le corps, comme Julka, 24 ans, qui vient des Pays-Bas. Elle s’est brûlé les bras sur le goudron au moment de l’arrestation, “ça fait partie du boulot”, dit-elle. Après le récit de ce que peut donner une confrontation avec la police, certains conseils n’étonnent même plus : “Essayez de déséquilibrer les policiers pendant que vous volez au-dessus d’eux”, suggère Inna.

Les Femen n’ont qu’une trentaine de minutes pour manger. En investissant leur maison, elles ont hérité d’un bar aménagé, au-dessus duquel elles ont inscrit : “Femen (ak)bar”. Derrière le comptoir, certaines font cuire des œufs et préparent une salade, d’autres préfèrent les sandwichs rapides. Derrière leur grande salle d’entraînement, plusieurs dortoirs sont alignés dans un grand couloir. Les filles ont même pu aménager un “magasin Femen” au cœur de la maison, où elles impriment des T-shirts avec leurs slogans et vendent leurs couronnes de fleurs aux visiteurs.

Chercher les caméras

13 heures. Les filles reçoivent la visite de Thérèse Clerc, 87 ans, ancienne militante du Mouvement de libération des femmes. “Si j’avais les seins, aujourd’hui, pour faire ce qu’elles font, je le ferais”, plaisante-t-elle. Pendant près de deux heures, la féministe revient sur ses actions et son combat, avant d’interroger elle-même les Femen : “Pourquoi vous montrez vos seins ?” Pour Sarah, il s’agit de “jouer avec l’image de la Barbie pour la mettre en position de guerrière.” Julka, elle, n’éprouve aucune frustration à ce que le message soit réduit à une phrase criée ou écrite sur son torse :

“S’il était plus long, les gens ne comprendraient pas, ou ne voudraient pas écouter. Avec un message court, des cris ou de la peinture sur le corps, ça passe beaucoup plus facilement. C’est comme une grosse gifle. Et les explications, c’est le travail des journalistes. Je pense qu’on n’aurait pas autant de succès sans eux…”

Chacune des manifestations des Femen est chorégraphiée et pensée en fonction des journalistes, qui eux-mêmes, pour l’instant, se prêtent au jeu. A 15 h 30, justement, c’est l’heure d’un cours sur “l’esthétique Femen”. Marguerite, l’une des Françaises qui vit à plein temps au QG, rappelle les codes à respecter :

“Quand on fait une action Femen, on crée des images. Sur chaque photo qui sera prise, les gens doivent voir ce que vous avez à dire. Il faut que le slogan soit original mais efficace, pour que tout soit déjà écrit sur votre corps.”

Inna rajoute : “Le plus important, c’est de rester visible le plus longtemps possible devant les journalistes. Rester droite, debout. Chercher les caméras.”

Les Femen se préparent pour une séance photo. Marguerite, artiste, s’est chargée de recouvrir certains des murs de la maison Femen de ses dessins (les dessinateurs de Charlie Hebdo ont eux aussi participé). Sur l’un d’eux, au milieu des représentations des activistes défiant policiers et politiques, un journaliste, caméra au poing, a lui aussi sa place.

La prostitution, le plus vieux débat du monde

19 heures. Après une séance photo sur le toit de leur maison, et une rencontre avec Xavier Renou des Désobéissants, venu leur donner ses techniques pour “gagner du temps avec les policiers” pendant les actions, les Femen font le bilan de leur journée. Inna souhaite revenir sur les positions de Thérèse Clerc sur la prostitution. L’ancienne membre du MLF se déclare “pour une légalisation parfaitement contrôlée, même si c’est utopique”. Les Femen, elles, se sont toujours exprimées contre la prostitution et pour la pénalisation des clients.

Mais Sharon, une Belge, soutient que la prostitution est “plus qu’un trafic humain”, et qu’elle peut être un choix : “Certaines filles, en Belgique, même parmi mes amies, se prostituent pour avoir plus d’argent, pour pouvoir s’acheter des sacs Louis Vuitton ou conduire de belles voitures.” Le débat est lancé. Inna comprend qu’il faut accorder les violons. Sur un canapé, elle se mordille les ongles, s’agite un peu, et parle :

“La prostitution, ce n’est pas le problème des femmes, c’est le business des hommes. Légaliser la prostitution, c’est légaliser tout l’aspect négatif de la prostitution, et l’existence des proxénètes.”

Mais chaque femme a le droit de choisir sa profession, non ?”, demande une fille. “C’est bien ça le problème !, réagit Inna. La prostitution ne devrait pas être pensée comme une profession ! Il n’existe pas, par exemple, de profession ‘dealer de drogue’, si ? Avec les petits changements que l’on commence à voir, on tente de faire grandir une génération qui ne sache pas ce qu’est la prostitution. C’est le processus du changement.” Roberta prend la parole :

“Je pense qu’il y a beaucoup de choix qui ne sont pas des choix. Le choix de se prostituer est un choix qui existe dans notre structure mentale. Je n’ai pas l’expérience pour parler à la place des prostituées. Mais je suis plutôt d’accord pour criminaliser le client sans criminaliser la femme. Nous n’avons jamais vraiment le choix.”

Les Femen discutent de leurs positions sur la question de la prostitution. Inna acquiesce, et reprend : “Je comprends que tu te poses des questions, je me suis demandé moi aussi si j’étais pour ou contre. C’est aussi important de se poser des questions, car beaucoup de femmes ne savent toujours pas ce qu’elles en pensent. Mais si tu es une activiste féministe, c’est important que tu aies une position sur un sujet aussi fondamental. Pas pour toi personnellement, pas pour tes amis, mais pour la société dont nous rêvons.

20 h 30. Un petit groupe de filles rentre dans la salle avec des sacs de courses. “Bon, à table. On continuera à parler de tout ça en mangeant, mais ce sera une fois que les journalistes seront partis”, dit Inna en souriant, avant de nous raccompagner jusqu’à la grille.

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Via: lesinrocks.com


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