Les Femen, combien de divisions ?

Les Femen, au palais de justice de Paris, le 9 juin. (Photo Thomas Samson. AFP)ENQUÊTELes militantes ukrainiennes arrivées en France sont désormais séparées en deux groupes qui ne communiquent presque plus.Sur le même sujetinterview
Inna Shevchenko : «En France, la justice n’est pas au service des institutions religieuses»

Par Quentin Girardprofil
La Femen fatale du musée Grévin

Par Ondine Millot

On a rencontré les Femen vendredi dernier et mardi. Les deux fois, elles étaient plusieurs, plutôt joyeuses en apparence, confiantes, loquaces. Sauf que ce n’était pas les mêmes, ni au même endroit. Et, entre elles, elles ne se parlent plus vraiment. Depuis quelques mois, une division est apparue entre Inna Shevchenko, la Femen ukrainienne la plus médiatique en France, et les autres fondatrices, comme Oksana Chatchko et Sasha Shevchenko (1), qui vivent aussi à Paris.

Près de la Seine, à Clichy, dans les Hauts-de-Seine, vendredi après-midi. Après avoir dû quitter le Lavoir moderne parisien, un théâtre de la Goutte d’or fermé après plusieurs mois de lutte, les Femen squattent maintenant un immeuble, avec d’autres artistes, dans cette ville de la petite couronne. Des chambres, un bureau, une grande salle pour les exercices et une jolie terrasse, l’espace est vaste. Aux murs blancs, des posters du mouvement d’origine ukrainienne et des coupures de presse de leurs actions sont scotchés. Elles sont sept à loger ici. «C’est particulier comme expérience de vivre ensemble mais cela permet une émulation intellectuelle plus forte. Et comme ça, les gens peuvent passer, le QG n’est jamais vide, il y a toujours quelqu’un pour les accueillir», se réjouit Esther, une militante française.

 

Depuis quelques mois pourtant, les Femen sont moins actives dans l’Hexagone. Dans les médias français, on a plus entendu parler d’elles pour des départs fracassants de membres ou pour le livre de Caroline Fourest, racontant sa romance avec Inna Shevchenko. Mais leur actualité judiciaire de la rentrée est chargée. La semaine dernière, elles ont été relaxées pour l’affaire de Notre-Dame (le parquet a fait appel). Mercredi matin, une amende de 1 500 euros a été requise contre Iana Zhdanova pour avoir détruit la statue de Poutine au musée Grévin. Bientôt, ce sera au tour d’Éloïse Bouton, une militante de la première heure, d’être jugée, pour avoir protesté contre la position de l’église sur l’avortement à la Madeleine. Elle a quitté, désormais, le mouvement. Sans oublier les déboires d’Amina, ex-Femen.

«Cet été, nous voulions prendre du recul, moins parler aux médias. Nous avions besoin de nous réorganiser», explique Inna Shevchenko pour justifier ce relatif silence. Autour d’elle, sur la petite terrasse, Esther, Elvire, Pauline, Sarah, des Françaises, et Meriem, de passage, une Tunisienne. «Maintenant, on va parler à nouveau, montrer que toutes les rumeurs sont fausses, continue-t-elle. Il y en a tellement sur nous, on est décrit comme une secte, comme sataniste, c’est n’importe quoi. Les médias, en France, sont parfois étonnants.»

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Pour Pauline, l’une des jeunes militantes à avoir fait de la prison en Tunisie pour avoir soutenu Amina, «c’est normal que l’on parle un peu moins de nous. Il y avait un phénomène de nouveauté et on n’est pas là non plus pour collectionner les articles de presse. Nous, ce qu’on veut, c’est créer du débat quand c’est important».

Comment fonctionnent-elles désormais ? «Nous ne sommes pas une organisation pyramidale, tout le monde est impliqué», raconte Esther. «Mais il fallait bien s’organiser. Quand trois branches Femen font trois actions différentes dans trois pays, ce n’est pas possible, ça brouille le message. On essaye de plus s’organiser, de communiquer», ajoute Inna, qui s’affirme, sans complexe, comme la cheffe. Selon elle, la communication entre les différentes branches, dans onze pays, est permanente. On comprend que, à ses yeux, dans la galaxie de Femen international, la branche française tient une place à part. 

Peut-être, parce qu’à part Inna, les trois autres Femen ukrainiennes fondatrices, Anna Hutsol, Oksana Chatchko et Sasha Shevchenko, semblent moins présentes. Inna reconnaît qu’il y a eu entre elles «pas un clash, mais des incompréhensions. Anna [celle qui a eu l’idée du mouvement, avec Viktor Sviatski] est très liée à l’Ukraine, à ce qui se passe là-bas, elle ne parle pas anglais, elle a eu du mal à prendre le train de Femen international». «Sasha et Oksana, de leur côté, ont décidé de prendre un peu de recul. Mais il n’y a pas de divisions.» «Nous aussi nous avons la légitimité, au final, on est allé aussi loin, voire plus loin qu’elles», note Pauline. 

«Des trucs de filles»

De g. à d., Iana, Sasha, Inna et Oksana, en 2012, dans leur bureau à Kyiv. Une autre époque. Photo Gleb Garanich. Reuters 

Dans le XVIIIe arrondissement, mardi, au Lavoir moderne parisien. Le théâtre a été fermé mais n’a pas encore été complètement évacué. A l’étage, Oksana vient parfois peindre (elle est artiste) et s’occuper des deux petits chats. Les murs sont désormais recouverts de grandes toiles, réalisées par elle et l’une de ses amies. Elle vit dans un squat, pas très loin. On l’a déjà rencontrée la veille, une première fois, toute seule. Ce matin, elle est venue avec Iana Zhdanova et Sasha Shevchenko, réfugiées politiques comme elle, en France depuis un an, et Josephine Witt, militante à Hambourg, en Allemagne.

«Bien sur que nous sommes toujours Femen, explique d’emblée Oksana, démentant ce qu’on a nous a dit quelques jours plus tôt. C’est seulement que nous, nous sommes Femen International et pas Femen France.» Aucune division idéologique de fond, comprend-on rapidement, mais des histoires de personnes, comme souvent dans les collectifs de bénévoles où l’investissement émotionnel est fort. Sauf qu’ici, ce sont les Femen et elles sont mondialement connues. «Ce ne sont que des "girly things" [des trucs de filles, ndlr], regrette Sasha, des petites bassesses permanentes». Toutes deux ont des mots durs à propos des militantes françaises. «Il faut le dire, elles sont stupides», affirme Oksana. «A Clichy, il y a des photos d’Inna partout, elles ne parlent que de push up et de maquillage, leurs actions sont mal préparées et ne touchent pas leur but», ajoute Sasha.

«Inna voulait des petits soldats, qui lui obéissent aveuglément et elle a eu ce qu’elle voulait», balance Oksana. Selon elles, les tensions datent de leur arrivée en France mais elles n’ont pas voulu en parler avant, de peur de brouiller leur image. «On a fui l’Ukraine, sans argent, sans rien, on pensait être bien accueillies, qu’on formait une équipe, mais ce n’était pas du tout le cas, raconte Sasha. Quand je suis venue, le premier jour, au Lavoir moderne, j’ai sauté dans leurs bras. Pauline et Marguerite [une autre militante, ndlr], faisaient la tête. Elles m’ont dit : pourquoi tu n’es pas allée en Allemagne ? Je ne sais pas, elles ont peut-être eu peur qu’on leur fasse de l’ombre.»

Elles racontent une multitude de détails qui, en s’accumulant, dessine une ambiance détestable. Oksana a vécu pendant un temps à Clichy. Lorsqu’elle a refusé d’être membre de Femen France pour rester seulement Femen International, la serrure de la porte de sa chambre a été cassée, ses affaires mises dehors. Elle a dû partir. Iana vit toujours là-bas, mais dans l’autre partie du bâtiment. «Lorsque je vais dans leur QG, elles me demandent ce que je fais là, elles me disent que je dois partir, que je n’ai pas le droit de venir», rapporte-t-elle.

De g. à d., Marguerite, Pauline et Josephine lors de leur conférence, à Paris, après leur libération. Photo Philippe Wojazer. Reuters

«C’est vraiment étrange, intervient Joséphine. J’étais en prison, en Tunisie avec Pauline et Marguerite et pourtant c’est à peine si elles me parlent aujourd’hui.» Une scène l’a marquée, l’été dernier, peu de temps après être rentrée de Tunisie. Elle arrive toute joyeuse, «simplement contente d’être libérée», dans un restaurant japonais, pour retrouver ses deux compagnonnes de cellule et Inna. Mais les autres font la tête. Inna leur reproche vigoureusement de s’être excusées, d’avoir dit que leur action était une erreur pour pouvoir être libérées. Elle dit qu’elles ont trahi les Femen. «Pauline et Marguerite se sont mises à pleurer, devant tout le monde. Je ne connaissais pas vraiment Inna avant, j’ai compris qu’il fallait s’éloigner», conclut-elle.

La jeune leader aurait-elle succombé à l’hubris ? Emportée par l’ivresse de la célébrité et des médias ? «C’est vrai qu’elle a toujours été ambitieuse mais on ne pensait pas que cela deviendrait comme cela, regrette Oksana. Là, on a l’impression que tout est dicté par des choix personnels, l’envie de faire carrière.»

«Personne n’a le droit de dire qui est Femen, ou pas, explique la peintre. Femen, c’est une idée, la lutte contre le patriarcat, le sextrémisme et une manière de manifester. Si une femme, n’importe où, dans n’importe quel pays, adhère à nos idées et à nos méthodes, elle peut se déclarer Femen. Et si Femen France veut faire des actions, très bien, mais Inna n’a pas le pouvoir de dire qui est Femen ou pas.»

La dernière image des Femen mise en ligne pour soutenir Iana.

Les militantes ukrainiennes prévoient, elles aussi, des actions prochaines. Grâce au statut de réfugiés politiques, elles touchent près de 500 euros par mois. Elles sont un peu moins précaires. Elles gagnent un peu d’argent avec les ventes des objets dérivés sur leur site, mais, une nouvelle fois, elles sont en concurrence. Femen France a désormais son propre compte Paypal et propose de nouveaux vêtements.

Pour Oksana, Sasha et Iana, qu’il y ait plusieurs groupes de Femen en France n’est pas un problème. Elles n’ont pas prévu d’organiser les mêmes actions. «Mais l’un de mes regrets est qu’en un temps record en France, on a perdu la confiance des autres féministes, du public et des médias. Ça n’est arrivé dans aucun autre pays. On voudrait changer ça», assure Sasha. A Clichy, les autres Femen expliquent également qu’elles souhaitent améliorer leur image, et travaillent, en ce moment, en coopération avec Osez le féminisme.

On imagine mal entre elles un rabibochage prochain. Cette situation, avec des militantes utilisant le même nom mais ne se parlant plus vraiment et en opposition larvée, pourrait, à terme, rendre incompréhensible le mouvement.

(1) Elles ne sont pas de la même famille.

Les Femen, combien de divisions ?
Source: liberation

Via: faitesvosjeuxsportifs.com


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