Pour la pluralité des moyens d’action féministes

Pas une semaine sans que les Femen ne fassent la une de la presse internationale. Ces militantes dénoncent à travers leurs actions coups de poing le sexisme en Europe, au Maghreb, en Amérique latine... A Paris, on les a récemment vues entrer seins nus dans l’église de Notre-Dame au moment de la démission du pape pour dénoncer l’influence de la religion. A Rome, elles ont fait irruption devant le bureau de vote de Silvio Berlusconi le jour des élections nationales. Auparavant, elles ont manifesté devant des ambassades pour soutenir des femmes accusées d’adultère, se sont opposées à la corruption dans les pays de l’ex-bloc soviétique, à la pornographie en ligne. Elles osent dénoncer certains tabous, notamment celui de la prostitution qui fleurit en marge des «grands événements», comme en Ukraine lors du championnat européen de football.

Leur signe distinctif: des méthodes qui retiennent le regard. Partout où elles passent, les Femen choisissent la mise en «visibilité». Leur corps devient une arme, comme disent certaines d’entre elles. La plupart des militantes Femen arborent des slogans anti-sexistes sur leurs seins, utilisent leur nudité pour clamer haut et fort leurs revendications et dénoncer les violences faites aux femmes. D’autres postent sur la Toile des photos d’elles pour s’opposer à l’emprise de la religion sur leur quotidien, à l’instar d’Amina, jeune féministe tunisienne qui fait l’objet de menaces de mort pour atteinte à la morale...

Les modes d’action des Femen ne laissent pas indifférents. Leur nudité suscite de nombreuses critiques de part et d’autre des frontières et réunit des adversaires nombreux, dont certain-e-s se réclament du féminisme. Que les pouvoirs en place n’apprécient guère leur nudité, dans le contexte actuel de montée en puissance du conservatisme, n’est guère étonnant. La virulence des réactions policières est là pour rappeler que les bonnes mœurs doivent être préservées dans l’espace public. Des voix s’élèvent pour dire que le message ne passe pas, que les «vraies» féministes optent pour des méthodes et des actions plus efficaces.

Les Femen s’inscrivent pourtant dans la tradition féministe, en reprenant un slogan phare: notre corps nous appartient. Les happenings et les actions d’éclat font l’histoire des mouvements féministes. Pensons à certaines actions des suffragettes, ligotées aux barrières des établissements publics et faisant plier leurs geôliers à coup de grèves de la faim répétées. Rappelons-nous du MLF et de son hommage à l’épouse du soldat inconnu, encore plus inconnue que lui. Souvenons-nous des Guerrilla Girls et de leurs manifestations devant les musées et les galeries d’art. Rappelons le mouvement La Barbe dénonçant depuis plusieurs années la domination masculine, des militantes arborant une barbe faisant irruption dans les symboles du pouvoir (conseils d’administration des grandes entreprises, Académie française, Théâtre de l’Odéon, Festival de Cannes). Enfin, pensons encore à La Marche des Salopes, dont la première édition en Suisse a eu lieu le 6 octobre dernier à Genève, qui réunit des militantes dont les tenues provocatrices viennent dénoncer les agressions sexuelles dont sont l’objet les femmes dans l’espace public.

Le recours à la nudité subversive n’est pas une première dans l’action féministe. Si elle a d’abord été utilisée par les artistes féministes, mettant en scène leurs corps loin de la nudité autorisée par les canons artistiques, on la retrouve dans certaines manifestations, notamment les prides des lesbiennes et gays.

La nudité des Femen dérange parce qu’elle heurte le puritanisme ambiant, mais surtout parce qu’elle met à jour certains éléments de la domination masculine. Lorsqu’une femme dévêtue lève le poing, on est loin de l’image de femme fatale ou de bimbo fragile qui s’offre. Ces femmes-là ont reconquis leur corps, leur image. Lorsqu’on voit une militante plaquée au sol par un policier anti-émeute, sa nudité rappelle la dissymétrie des moyens et le véritable rapport de force qui est en jeu.

Aussi, même si nous n’avons pas toute le courage de défiler nues, nous devons reconnaître que quelques seins nus sont plus visibles dans les médias, sur la Toile, que les 50 000 femmes ayant manifesté à Bruxelles pour la fin de la Marche mondiale en 2000. Ça aussi, les Femen l’ont compris. Ainsi, quelles que soient nos préférences en matière de mode d’action, réjouissons-nous de la diversité des méthodes de lutte. Qu’on se le dise une fois pour toutes: les modes d’action sont aussi divers que le sont les féministes et méfions-nous des tentatives qui visent à nous diviser.
 

Via: lecourrier.ch


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The mission of the "FEMEN" movement is to create the most favourable conditions for the young women to join up into a social group with the general idea of the mutual support and social responsibility, helping to reveal the talents of each member of the movement.

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